Si vous avez manqué notre première séance à Lunel
"Nous savons clairement que la vision est une des plus rapides opérations qui soient, car dans le même instant elle embrasse un nombre infini de formes ; néanmoins elle ne peut comprendre qu'une chose à la fois. Voici un exemple : tu peux, ô lecteur, voir d'un coup d'œil l'ensemble d'une page écrite ; tu jugeras aussitôt qu'elle est remplie de lettres diverses, mais dans ce laps de temps tu ne reconnais pas ces lettres ni leur sens, et pour en avoir connaissance il te faut les lire mot à mot et ligne par ligne."
Les carnets de Léonard de Vinci.
Une œuvre ne se livre pas dès les premiers instants et peut créer divers sentiments chez celui qui la regarde : malaise, adhésion, attirance, séduction, rejet, choc, etc. Elle peut parfois aussi intimider. Toutefois, l'art n'est évidemment pas uniquement affaire de spécialistes et tout spectateur est capable de restituer sa propre vision d'un tableau, par exemple, et de décrire la manière dont il reçoit ce qui figure sur la toile.
Notre orientation pédagogique vise à permettre à chacun de livrer sa perception personnelle et d'apprécier la pertinence de son propre regard. Les séances favorisent également l'acquisition progressive d'un vocabulaire commun se rattachant à la description des oeuvres (matérialité, structure et composition), sans pour autant occulter les notions de style ou d'histoire.
Pour cette première séance, nous avons présenté deux portraits peints que le groupe devait décrire. Décrire n'est pas interpréter. L'analyse descriptive (ce que je vois) doit être la plus complète possible, avant de formuler des tentatives ou hypothèses d'interprétation (ce que je comprends), auxquelles peuvent s'associer des perceptions (ce que je ressens).
Le portrait consiste à représenter l’apparence extérieure d’une personne, mais aussi en fonction de l'expressivité rendue, de témoigner de réalités plus intérieures.
Le portrait est un genre dont l'origine est très ancienne. L'apparition du portrait sur les monnaies dans la civilisation grecque daterait du Vè siècle avant J.-C. On se souvient des oeuvres liées à l'art funéraire égyptien présentées l'an dernier avec les émouvants portraits trouvées dans l’oasis du Fayoum et dont l'origine est située au II siècle après J.-C. (voir image dans message du 2 août en archives). On pense également au culte des ancêtres chez les romains ou à la présence très réaliste des empereurs romains, avec les bustes affirmant leur autorité que nous avons vus également l'an dernier. A partir de la fin du Moyen Age et de la Renaissance, la place du portrait devient prépondérante, et puissants et gouvernants font représenter avec faste l'image de leur pouvoir moral, politique ou économique, quand il ne s'agit pas simplement d'afficher l'image de leur rang social (bourgeois ou commerçants).
Rappel succinct des tableaux présentés.
Balthazar Castiglione. 1514-1515
(on trouve également en italien, Baldassare)
Huile sur toile, 82 x 67 cm
Musée du Louvre, Paris.
Raffaello Santi dit Raphaël (1483-1520).
Peinture italienne.
Restituer un caractère : issu d'un milieu très cultivé, gentilhomme accompli et parfait homme de cour, c'est Castiglione, ami de Raphaël qui a commandé son portrait réalisé vraisemblablement à Rome alors qu'il venait d'être nommé ambassadeur auprès du pape par le duc d'Urbin (la cour d'Urbin était au XVIè siècle, la plus raffinée d'Italie). Le calme et l'harmonie qui se dégagent du tableau sont frappants : choix des couleurs dans une palette réduite à l'harmonie subtile, ombres et lumières en demi-teintes sur un fond neutre (grège), puissance des noirs, élégance du modèle mais sans ostentation (réserve), sobriété, distinction, image d'un diplômate paisible et sûr de lui, au caractère paraissant aussi soyeux que les étoffes de son habit, sans doute l'un des plus beaux portraits de Raphaël, dont toute la subtilité émerge après un premier regard qui pourrait nous faire apparaître ce visage comme familier.
Jeune fille au turban
ou jeune fille à la perle
vers 1660-65
Huile sur toile, 46,5 x 40 cm
Mauritshuis, La Haye
Johannes (Jan) Vermeer (1632-1675).
Suspendre la course du temps : C'est tout le contraire du portrait précédent très posé que nous livre ici Vermeer. Voici un portrait qui fonctionne comme un instantané, comme si la jeune fille venait de se retourner, comme si le temps s'était arrêté sur ce regard. Qui est cette jeune fille anonyme ? Le mystère ne sera pas levé. L'œuvre est signée mais non datée, probablement peinte vers 1665-1666. Malraux la comparait à un "galet translucide", d'autres n'hésitent pas à qualifier de "Joconde du Nord" ce portrait réalisé à partir d'éléments chromatiques simples : un glacis mince de couleur chair quasi transparent pour la carnation de porcelaine du visage, des touches plus claires pour illuminer le regard et de petites notes roses à rouge pour donner du moelleux aux lèvres de la bouche entrouverte qui semble parler, le fond noir la rendant plus éclatante encore et créant un contraste maximum avec la clarté du visage et le regard humide, les contours flous, le mélange d'outremer et de blanc du turban répondant au jaune éclatant de la retombée du tissu dont il est surmonté, l'ocre plus clair de la veste contrastant avec le blanc du col qui se reflète dans la perle. La lourde perle dont tout le volume sphérique argenté n'apparait pas toujours à la première lecture de l'image.
Pour terminer la séance dans un tout autre univers, nous nous sommes plongés dans les Etats Unis des années quarante avec Edward Hopper.
Nighthawks.
"Les rôdeurs nocturnes"
ou "Noctambules"
1942
Huile sur toile
84,1 x 152,4 cm
Art Institute of Chicago
Edward Hopper (1882-1967)
Décrire une atmosphère : dans la lumière crue des néons du Phillies à Greenwich village, quartier de Manhattan, la scène décrite par Hopper dans Nighthawks semble tout droit sortie d'un décor de cinéma. Elle rappelle également l'univers de la BD. (Edward Hopper a d'abord fait des études d'illustrateur à New York). Quelques formes géométriques simples, une peinture faite de larges aplats de couleurs, des verticales, des horizontales et quelques diagonales fortes suffisent à structurer le tableau ou l'orangé des façades de magasins répond au vert de l'interminable devanture sans porte du "diner" (restaurant typique américain).
Tard dans la nuit, un client isolé et un couple sont assis au comptoir d'un bar. La lumière criante des néons heurte durement la nuit tombée sur la ville. La rue est vide et aucun des personnages ne semble ni regarder ni parler aux autres, tous semblent plongés dans de profondes pensées. Un homme au costume sombre et chapeau feutre et une femme vêtue de rouge, visibles de face, forment un couple. Un troisième homme également costume sombre et chapeau feutre est représenté de dos. Le serveur s'affaire machinalement au comptoir, le regard semblant perdu dans le lointain de la fenêtre. Thème redondant à travers l'oeuvre de Hopper, cette scène urbaine décrivant le vide des rues désertes et la solitude des personnages incapables de communiquer est le tableau le plus célèbre de Hopper et également l'un des plus marquants de l'art américain.
Peintre américain dont la production est caractérisée par ses univers pétris de solitude : stations service, motels, voies ferrées, rues désertes, immeubles, paysages nationaux et leurs habitants, Hopper a figuré au catalogue de l'exposition présentée au pavillon du musée Fabre à Montpellier du 13 avril au 23 juin 2002 "made in USA", l'art américain de 1908 à 1947. Se rattachant à un courant de pensée qui traite avec réalisme le quotidien, il dresse un portrait sans concession de la société américaine de son époque où la réalité est omniprésente.
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