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Lieu : Montpellier, Hérault, France

Nos propositions s’appuient sur des recherches personnelles complétant un parcours universitaire, une pratique et une formation en arts plastiques privilégiant l’approche des arts dits contemporains, une spécialisation en histoire de l’art médiéval. Ces complémentarités associées à l’intervention auprès de publics diversifiés fondent notre action au service de l’éducation populaire.

jeudi 23 novembre 2006

Retour sur la séance du vendredi 17 novembre

Pommes et oranges (1895-1900)
huile sur toile, 74 x 93 cm
musée d'Orsay, Paris
(suite de la séance du 10 nov.)

Toute différente est l’imitation de la nature chez Cézanne.

Lorsqu'il représente des pommes, Cézanne ne se contente pas de la simple reproduction, ni de communiquer une perception immédiate (comme chez les impressionnistes, dont il fut à ses débuts). Il cherche à construire sur la toile un nouvel espace cohérent fondé sur la « géométrie de la couleur » (Hubert Damisch). A ce travail, il consacrera toute sa vie. C’est là toute sa recherche picturale.

Ses natures mortes sont construites de surfaces et de volumes intimement liés renvoyant à son célèbre propos : « traitez la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout en un certain ordre assemblés ». Il en rythme la composition par juxtaposition de surfaces claires, sombres ou colorées, tantôt opposées ou complémentaires.
Nature morte à la soupière, 1877,
huile sur toile, 65 x 81,5 cm,
Paris, musée d'Orsay
Toute sa peinture s'appuie sur une construction s'écartant des règles classiques, préférant à la profondeur des diagonales, la frontalité et l'étagement des plans successifs, les premiers plans rapprochés s'inscrivant au plus près de l'espace du spectateur, dans le bas du tableau, tandis que les plans éloignés sont placés dans le haut de la toile, le procédé rappelant à la fois la peinture médiévale occidentale et la peinture chinoise. Ainsi, nous observons que dans ses natures mortes, les objets semblent flotter dans l'espace et la table verser vers le spectateur. Toute sa construction s'appuie également sur la couleur, caractérisée par les fortes oppositions (orangés, bleus) et l'agencement des tons chauds et froids, sans dilution ni modelé, les transitions s'effectuant par les verts, les ombres se colorant de violet, les complémentaires vibrant d'infimes touches de leur couleur opposée.

"Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude"
déclare-t-il.

Là réside l'essentiel de la recherche cézannienne pour la représentation d'un nouvel espace perspectif non réaliste, qu'il a lentement et inlassablement mis au point, parvenant à l'unité et à l'équilibre géométrique de ses surfaces et élaborant les nouvelles propositions plastiques qui allaient inspirer de façon majeure la peinture moderne.

Dans le parc du château noir,
v. 1900,
huile sur toile 92 x 73 cm,
musée de l'Orangerie, Paris.


Dans une lettre à sa mère, le 26 septembre 1874, il écrit : "J'ai à travailler toujours, et non pour arriver au fini qui fait l'admiration des imbéciles".

De l'impressionnisme, sa touche a conservé la fragmentation qui lui permet au moyen d'une variété de formes d'animer ses représentations comme nous l'avons observé dans ses paysages. "J'en reviens toujours à ceci, le peintre doit se consacrer entièrement à l'étude de la nature". Renvoyant tantôt à l'architecture (oeuvrer avec obstination à l'agencement d'une multitude de touches colorées), tantôt à la sculpture (le sculpteur de peinture), le langage pictural de Cézanne fait dire à Christian Garcin, écrivain marseillais : " Cézanne n'est pas dans la ligne, mais dans la touche ; pas dans le trait, mais dans la couleur."

Progressivement, à travers sa série des montagnes Sainte-Victoire (il en aurait réalisé 87 en tout, 44 huiles et 43 aquarelles), sa peinture deviendra plus synthétique.

La montagne Sainte-Victoire vue des Lauves
1905, huile sur toile, 54 x 73 cm,
Bâle, fondation Beyeler.

Christian Garcin observe : "Comme pour les chinois, le but de Cézanne n'était pas de reproduire l'aspect extérieur des choses (qu'elles soient pomme, montagne ou personne), mais d'en saisir les lignes internes qui, elles, sont constantes, et de fixer les rapports obscurs, essentiels, qu'elles entretiennent entre elles.../.... Se mesurer sans relâche à l'immense .../... révèle quelque chose d'une nature humaine éternelle et complexe, le besoin de saisir le monde et son mystère, afin d'en instaurer une autre vision, médiatisée par son propre regard intérieur. "

Sur la construction d'une nouvelle spatialité, l'écrivain Charles Juliet (auteur de Un grand vivant : Cézanne, éd. Flohic 1977, et de Shitao et Cézanne, une même expérience spirituelle, éd. L'échoppe, 2003) analyse :

"Pour conquérir la liberté d'expression qui lui est de plus en plus nécessaire, il s'affranchit des règles et se permet toute sortes d'audaces. Il modifie la couleur des choses, élabore une toile en fonction de différents points de vue, place un pin au premier plan d'un vaste panorama, étage les plans pour organiser une présentation frontale, introduit des ruptures d'échelle, pratique des anomalies dont des béotiens concluront qu'il ne saura jamais peindre, affecté qu'il serait d'un défaut de vision.

A force d'observation, de réflexion, d'invention, il crée un espace particulier qui sera nommé plus tard par la critique "l'espace cézannien". Dans celui-ci, il désaxe ou abolit la perspective, supprime la troisième dimension, libère la couleur en fragmentant la forme.
Lestaque, effet du soir, 1871-1876
huile sur toile, 43 x 59 cm
Paris, Musée du Louvre.

Une même touche glisse du rocher à l'arbre, de l'arbre à l'air qui environne, du flan de la montagne au ciel. Tous les éléments de la composition sont reliés de la sorte, et ainsi nous est rendu le flux de la vie qui s'y propage. Quand on prend conscience de ces questions que Cézanne s'est posées sur l'apparence, la réalité, la représentation, ses moyens d'expression..., on en vient à penser que sa réflexion sur la peinture a été pour l'essentiel, le sujet de sa peinture."

Sur l'espace Cézannien, et la perspective désaxée par plusieurs points de vues sur les différents éléments du tableau, nous nous sommes arrêtés sur la nature morte au panier du musée d'Orsay.

Nature morte au panier
1888-1890
huile sur toile
65 x 81 cm
Paris musée d'Orsay.

Sa construction semble mêler plusieurs angles de vue depuis les éléments placés face au spectateur sur ce qui semble être une table bien basse (ou un banc ?), puis le panier de fruits, et dans la partie haute de la composition, la jointure du mur avec le sol de la pièce se terminant sur des pieds de chaise. Nous sommes dans l'atelier du peintre. Un pied de chevalet est visible dans la partie droite du tableau. Une palette est posée sur une table haute dans la partie gauche du tableau. Le tableau présente un désordre apparent. L'angle de vue des objets posées sur la table haute à gauche et dans le panier ne sont pas les mêmes. On parle "d'anomalies cézannienne" pour une construction à plusieurs points de vues : perspective en oblique sur le sol, disproportion des objets entre eux, vue latérale et vue plongeante. L'oeil du spectateur passe trés vite du 1er au 2eme plan (trop vite). Ce sont les obliques latérales qui font glisser notre regard vers le second plan. Redressement du plan du sol. Le panier devrait logiquement tomber par terre. La vision parait impossible, à la fois proche et éloignée.

Les distorsions de la perspective n'ont pas manqué de renvoyer certains au tableau de Van Gogh, chambre à Arles (1888, huile sur toile, 72 x 90 cm, musée Van Gogh, Amsterdam) ici reproduit pour mémoire.

Mais nous n'en avions pas encore fini avec les pommes de Cézanne au sujet desquelles il alla jusqu'à lancer : "avec une pomme, je veux étonner Paris", lui qui peignait les humains comme on peint une pomme en observant : " Dans une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant, et ce point, malgré le terrible effet, lumière, ombre, sensations colorantes, est toujours le plus rapproché de notre oeil. Les bords des objets fuient vers un centre placé à notre horizon. Lorsqu'on a compris ça..." Et à Ambroise Vollard, marchand d'art, qui s'était endormi et était tombé alors qu'il posait pour un portrait, Cézanne cria : "Malheureux ! Vous avez dérangé la pose ! On doit poser comme une pomme. Est-ce que ça remue une pomme ?"
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* L'ensemble du sujet sur Cézanne et les propos cités sont tirés de la biographie de Paul Cézanne publiée aux éditions folio par Bernard Fauconnier en février 2006, de celle de Michel Hoog, Cézanne, puissant et solitaire publiée chez Gallimard en 1989, de la correspondance de Paul Cézanne, réunie par John Rewald chez Grasset et du numéro hors série du magazine Télérama consacré à Cézanne en mai 2006, où on pourra également découvrir dans un article de l'écrivain et historien d'art, Pascal Bonafoux "ceci est une tête" comment Cézanne, vers 20 ans, "troqua le miroir pour la photo", et, en renonçant au miroir pour peindre une tête comme un objet à partir d'une photographie, jeta aux orties, le postulat selon lequel la peinture ne doit être qu'un miroir lisse. Ce postulat né du récit légendaire de Narcisse, est repris par Léon Battista Alberti en 1436, dans son traité Della Pittura lorsqu'il déclare : "les choses faires d'après la nature sont amendées par le jugement du miroir" et également par Léonard de Vinci : " L'esprit du peintre doit être pareil au miroir qui se transforme en la couleur des objets et s'emplit d'autant de ressemblances qu'il en a devant lui. Le miroir à superficie plane contient la vraie peinture en sa surface et la peinture parfaite exécutée sur la superficie d'une matière plane est semblable à la surface d'un miroir. " Cézanne a très tôt rejeté la notion de ressemblance et surtout "le fini qui fait l'admiration des imbéciles", selon lui.