Visite de l'exposition Graveurs du Sud
Leur univers, ils, elles le gravent sur le papier. Leur production, ils, elles la font surgir de la rudesse du métal, griffé, dressé, brossé, rayé, arraché, creusé, façonné, tantôt à la pointe, ou au burin, tantôt livré à la morsure de l'acide. Leur monde, ils le conçoivent, en quelque sorte, de l'autre côté du miroir : une fois la plaque gravée et encrée, c'est à l'envers du réel que s'effectue le tirage. Mais seulement après un délicat nettoyage des surplus d'encrage, comme s'il fallait se résoudre à oter, à accepter d'en perdre un peu, pour mieux conserver la trace essentielle ... la perte et le reste ... fragiles mémoires de mondes éphémères.
Puis, comme pour ne plus rien perdre de la substantifique moëlle, c'est sous la presse que les encres restées prisonnières du métal épousent les fibres du papier qui se mue alors en estampe. De l'aspect soyeux d'une richissime gamme de valeurs de gris jusqu'aux contrastes les plus vigoureux, la palette est large pour exprimer un métier d'art paradoxal qui puise ses racines dans l'histoire de l'imprimerie, dans l'illustration et l'édition, dans la pratique artisanale des corporations ... ne dirait-on pas aujourd'hui également dans les métiers du livre, mais des beaux-livres précieux.
A la fois magiciens, sorciers, créateurs, tel les alchimistes à la recherche de la pierre philosophale (dite aussi pierre des sages*), ils se jouent des ombres de leurs plaques de cuivre pour invoquer la lumière sur leurs explorations où se mèlent réel, rêverie, abstraction, lyrisme et poésie. Et lorsque le cuivre ne suffit plus à leurs libres vagabondages, c'est le zinc, le lino, le bois, et parfois le carton qui se voient convoqués pour la tâche, quand ce ne sont pas les feuilles d'argent ou d'or qui s'y trouvent délicatement insérées.
Subtil graphisme des végétaux, douces courbes d'un corps, posture singulière d'un animal, stricte composition géométrique, mystérieux symboles ésotéro-mystiques en libres recherches et créations ou pour les besoins d'illustration de livres d'artistes auxquels certains graveurs participent, aucun motif ou sujet n'échappe à leurs stylets, burins, et autres pointes sèches.
Apprendre à identifier la cuvette (gauffrage) laissée sur le papier par la plaque sous presse lors du tirage, à déceler les points de résine de l'aquatinte ou les barbures laissées dans le métal par l'outil qui le griffe en taille-douce, comparer le contraste et le rendu de différents tirages à partir d'une même plaque ou selon différents supports : Un grand moment passé avec des artistes disponibles, présentant leurs outils, techniques et matériaux, et sachant témoigner généreusement de leur passion avec cette lumière dans le regard qui ne trompe pas, avec cette gestuelle qui accompagne le propos, signe d'un métier empreint de sensualité, où le rapport tactile avec la matière est important, et dont le processus physico-chimique est au service de la libre création dans une pratique artistique à la fois subtile, complexe et porteuse de spiritualité.
GRAVEURS DU SUD, 15ème exposition de l'estampe originale contemporaine est visible du lundi au samedi de 15h à 19h à la galerie de la chapelle de la Salamandre, à Nîmes, place de la Salamandre (derrière Monoprix et Bque populaire), jusqu'au 22 décembre 2006.
Avec les œuvres de :
Florence Barbéris, Joan Beall, Jeanne Bessière, René Bessière, Laurence Briat, André Corsi, Rika Deryckere, Elisabeth Gérony, Christian Henry, Dominique Héraud, Liliane Jakobiak, Elisabeth Keh, Mireille Laborie, Jean-Charles Legros, David Maes, Laurent Nicolaï, Guy Pontier, Martine Rastello, Judith Rothchild, Hélène Vasseur, Sophie Vigneau, Jean-Michel Vincent, Gabrielle Wagner.
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* La Pierre Philosophale ou pierre des sages était le but supérieur de l'alchimie. Certes, était-il question de changer le plomb en or, ou de prolonger indéfiniment la vie et la jeunesse, mais sa recherche était-elle surtout motivée par une véritable quête spirituelle. Le but ne comptait pas tant que le chemin pour y parvenir, regardé comme une réflexion en profondeur et comme une tentative d'aboutir, après un long et patient travail personnel, à la pleine purification tant de la matière que du chercheur lui-même.
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