Visite de l'exposition de Françoise Pérès
Nous étions accueillis à l’espace Louis Feuillade à Lunel le vendredi 20 octobre à 19 h 30 pour une visite privée de l’exposition en présence de l’artiste.
Résurgence végétale. Technique mixte, 122 x 121 cm.
Ni tout à fait peintures, ni à proprement parler sculptures, les peintures-sculptures dont se revendique Françoise Pérès se présentent comme des tableaux habités par des tensions multiples : tension de la surface animée d'un bouillonnement sous-jacent qui vient en rompre l'unité, surface percée cédant sous des poussées émergeantes impossibles à contenir, et qui éclate en autant de fissures, sillons et crevasses, tension du format lui-même débordé, tension de la toile tendue lorsque, d'une courbure, elle s'enroule, se dresse, se cambre, plie et se cintre pour se figer en une ultime torsion.
Bien sûr, ici ou là, par d'astucieuses mises en abîmes, c'est aussi, de références en citations, l'art du 20è siècle bouleversé qui est convoqué, et avec lui le fait que l'idée prévaut sur la création, emprunté à l'univers duchampien, dans la pleine affirmation de l'art comme "cosa mentale".
Pourtant, c'est bien à un voyage dans l'intime qu'invitent ses résurgences.
"Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile c'est de nous mettre en état de les faire" disait Constantin Brancusi.
Dans ce qu'elle donne à voir, c'est son rapport au monde que livre l'artiste. Résurgence, comme réapparition à l'air libre de ce qui a besoin de resurgir pour ne pas étouffer, comme le feu qui couve sous la cendre. Résurgence, sous la forme d'une source, d'une nappe d'eau ou d'une rivière souterraine. ("L'eau coulait toujours, limpide et musicale". Marcel Pagnol. Manon des sources). L'eau qui menace lorsqu'elle déferle puissante et impétueuse, mais aussi l'eau nourricière, l'eau qui donne vie, l'eau à l'image de la vie, comme dans ses images récurrentes de la coupe et du sein, nourricières mais aussi hypnotiques.
Françoise Pérès
Crédit-Photo, Pierre Salles. 2006
Résurgence ... ou resurgir, réapparaître, ressusciter, renaître, res(pirer)d'urgence ?
Que dire de ces peintures-sculptures, pétries d'un univers intime, sans dénaturer ni trahir, en évitant comme l'énonçait Erwin Panofski de "gommer l'iconicité au profit des significations". Pourquoi vouloir à tout prix tout décrypter, et s'il n'y avait finalement pas d'autre chose à y voir que ce qui est ou ce qui n'est pas, ou bien ce qui n'est plus, une fois le travail de transformation élaboré ... mais qui n'est plus, pour renaître sous une autre forme.
Nature contre culture. C'est dans l'espace intersticiel entre deux états que nous transportent les oeuvres énigmatiques de Françoise Pérès : solide-liquide, minéral-vivant, dessus-dessous, temporel-intemporel, charnel-spirituel, avec des puissances qui émergent, resurgissent et finissent par s'imposer.
Nature contre culture. Dualité de l'humanité socialisée. L'être fait de pulsions et de désirs mais contenus et domestiqués sous le corps social construit à force de convenances et de nécessités. Pourtant, un corps-peau, qui comme la toile de ses tableaux ne parvient pas à contenir le fleuve impétueux des pulsions. La création participe de la sublimation. Elle intervient comme une fracture dans l'ordre établi des choses. Elle est déchirure. Elle répond à un appel qui claque comme l'éclair. Elle est révélation. Mais comme l'extrême brièveté de l'éclair, la fulgurance de la révélation peut s'évanouir dans la fragilité de son surgissement.
Comme un retour aux sources d'elle-même, c'est dans "l'unicité de sa temporalité, et de sa solitude sans voisinage" que Françoise Perès livre sa production, "au-delà, comme le dirait Henri Maldiney*, de toute intentionalité ou tout projet auxquels l'oeuvre devrait se plier" pour "s'ouvrir à l'ouvert qui seul donne" et pour "apparaître dans sa vérité, dans la nudité de la naissance."
* L'éclair de l'être. Editions Comp'Act, Chambéry 2003.
L'exposition était accompagnée du texte de Jackie Andrès